Les approches cellulaires in vitro et leurs limites. Application à la toxicologie

Résumé

Les cultures cellulaires représentent actuellement la plus grande partie de ce qu’on appelle « méthodes alternatives » à l’expérimentation animale. Elles sont utilisées pour le criblage de nouvelles molécules, pour l’étude de la toxicité organospécifique en complément de l’expérimentation animale et pour les

études sur le mécanisme d’action des xénobiotiques. Cette présentation avait pour but de montrer, à partir d’exemples, en quoi elles pouvaient apporter des

réponses aux questions posées par la pharmacologie et la toxicologie ainsi que les limites de leur utilisation.

Mots clés: Cultures cellulaires, méthodes alternatives, épithélium respiratoire, toxicologie des particules atmosphériques.

Summary

Cell cultures represent now the most part of alternative methods. They are used for the screening of drugs, for studies on organ toxicity in complement of animal experiments and for mechanistical studies. nIn this presentation, we have focused on the uses of these methods in pharmacotoxicology and their limits.

Les méthodes in vitro représentent actuellement une partie très importante des méthodes « alternatives » et comprennent l’utilisation d’organes isolés, de

tranches d’organes, de cultures cellulaires, d’organites ou de molécules biologiques. Elles permettent de limiter de façon notable et dans certains cas

de remplacer le recours à l’expérimentation animale, notamment dans le domaine de la toxicologie. Nous allons ici nous focaliser sur les cultures

cellulaires qui sont utilisées en pharmaco-toxicologie pour le criblage de nouvelles molécules, pour la toxicité organospécifique et pour l’étude du

mécanisme d’action des xénobiotiques.

Cultures cellulaires: de la recherche fondamentale aux applications

Les cultures cellulaires se sont d’abord développées dans le domaine de la recherche fondamentale. Alexis Carel a été le premier, au début du 20e siècle, à isoler un fragment d’organe, à le maintenir dans des conditions de milieu adéquates et à constater que finalement ce fragment d’organe pouvait survivre

hors de l’organisme. Cependant, c’est Moscona en 1952 qui, en découvrant la trypsination et l’isolement de cellules à partir de tissus, réalisa les premières

cultures de cellules. L’extension de ces techniques a été ensuite considérable et nous leur devons en partie l’essor de nos connaissances en biologie cellulaire.

Ensuite, tous les modèles développés pour mieux comprendre le fonctionnement des cellules, ont été utilisés dans d’autres domaines plus

appliqués, comme en pharmacotoxicologie, mais aussi – et c’est plus récent – en médecine régénératrice. Un exemple frappant est l’utilisation de cultures de

peau pour le traitement des grands brûlés. Un autre domaine émergent est celui des cellules souches, qu’il s’agisse des cellules d’origine embryonnaire ou des cellules souches adultes que nous parvenons maintenant à mieux connaître. Ce domaine a certainement un grand avenir, notamment en thérapie cellulaire et grâce à l’utilisation des outils de la transgénèse permettant de transformer les cellules au moyen de gènes d’intérêt. Dernière application: la recherche de nouveaux agents anticancéreux qui sont testés essentiellement sur des lignées tumorales.

À titre exemplatif: L’hépatocyte in vitro

Le foie est le siège de fonctions essentielles pour l’organisme, incluant celle de détoxication des produits chimiques; il est aussi une cible privilégiée des

métabolites toxiques formés et de virus hépatotropes et une étape obligée de certains parasites. Cependant il existe des variations qualitatives et quantitatives souvent importantes entre les résultats obtenus chez l’homme et l’animal, ce qui rend aléatoire l’extrapolation des résultats d’une espèce à l’autre. De plus de fortes différences individuelles sont fréquemment observées chez l’homme.

Très tôt, il est donc apparu nécessaire de pouvoir disposer de modèles hépatiques in vitro pour étudier les principales fonctions du foie et en particulier sa capacité de détoxication. Les principaux modèles incluent le foie isolé perfusé, les tranches d’organe, les hépatocytes isolés en suspension ou en culture primaire, les lignées cellulaires obtenues à partir d’hépatocytes tumoraux ou immortalisés, les microsomes, la fraction S9 et les cellules recombinées exprimant une ou plusieurs fonctions hépatiques.

Tous ces modèles ont des intérêts et des limites, certains étant plus dédiés à des études particulières (par exemple la fraction S9 de foie de rat au test de mutagenèse de Ames). Le modèle considéré comme le plus intéressant est l’hépatocyte isolé. La mise au point de conditions de culture permettant sa survie et le maintien de ses fonctions au-delà de quelques heures ou quelques jours a fait l’objet d’un nombre d’études considérable. Il est apparu que seules des conditions de culture sophistiquées pouvaient au moins partiellement répondre à cette attente. Les domaines d’utilisation des hépatocytes sont multiples, notamment l’étude de la biologie de cette cellule et les applications en pharmaco-toxicologie, virologie, parasitologie, thérapie cellulaire,…

L’hépatocyte a été largement utilisé, souvent en association avec d’autres modèles hépatiques in vitro, pour étudier les propriétés pharmacocinétiques et

le profil métabolique interespèce de xénobiotiques, prédire les interactions médicamenteuses de molécules en développement, préciser les mécanismes

de toxicité de composés toxiques,… Bien qu’elles aient des limites, les études sur hépatocytes sont aujourd’hui reconnues par les agences d’enregistrement.

Si les hépatocytes humains sont le modèle de choix, les difficultés d’obtention et les différences fonctionnelles d’une population cellulaire à l’autre liées non seulement au donneur mais aussi à la qualité des cellules après leur isolement en limitent leur utilisation. Certaines lignées d’hépatocytes humains tumoraux peuvent, dans certains cas, être utilisées. La solution pourrait bientôt venir des cellules souches lorsque les conditions expérimentales permettant le maintien de leur prolifération ou leur différenciation en hépatocytes auront été maîtrisées.

Un problème de fond: préserver la différenciation

Le challenge essentiel des cultures cellulaires est le maintien in vitro de l’état différencié tel qu’il est observé in vivo. A cette fin, différentes méthodes ont été développées : Les cultures organotypiques, tout d’abord, consistent à isoler et à maintenir en survie un fragment d’organe ou de tissu. C’est à ce type de cultures qu’appartiennent les tranches d’organe largement utilisées en pharmacotoxicologie : tranches de foie, de poumon, de rein, voire de cerveau.

Leur avantage est de pouvoir maintenir in vitro différents types de tissus dans toute leur complexité. Leur inconvénient est qu’elles fournissent une réponse

globale dont on ne sait pas toujours l’origine, ce qui a conduit au développement des cultures primaires.

Il s’agit alors d’isoler un type cellulaire et de le maintenir le mieux possible in vitro dans les milieu adéquats. Cependant, en général, on observe une rapide dédifférenciation en culture. Parallèlement, on a assisté au développement des lignées cellulaires, d’abord d’origine cancéreuse ou embryonnaire, puis des lignées immortalisées par transfection. Ces dernières sont des cellules normales qui pour certaines d’entre elles – nombreuses actuellement – sont d’origine humaine. (*). Les lignées transformées ont eu au cours des dernières années un développement véritablement exponentiel. Transfecter des cellules devient une pratique courante dans les laboratoires, ceci pour les transformer de façon définitive en les immortalisant ou de façon transitoire au moyen d’un gène d’intérêt.

Ces immortalisations ont été réalisées, le plus souvent, avec des oncogènes. On a beaucoup utilisé l’antigène T du virus SV40. Mais, le problème de ces lignées, là encore, est celui, d’une perte partielle ou totale des fonctions différenciées. Notons qu’on peut obtenir une meilleure différenciation in vitro avec des lignées obtenues à partir de souris transgéniques, en associant au transgène un promoteur spécifique de tissu. Nous avons également la possibilité, avec l’immortalisation, d’introduire des promoteurs inductibles qui sont par exemple inductibles par la chaleur ou par des antibiotiques, et qui vont permettre de jouer sur la balance prolifération-différenciation. Ainsi, voit-on bien que le maintien de la différenciation est le problème central. Il est apparu que le microenvironnement jouait un role déterminant.

Ce microenvironnement est fait de ce que la cellule va sécréter, les protéines de la matrice qui peuvent avoir pour origine la cellule elle-même ou les cellules voisines. Mais il résulte aussi des contacts que les cellules établissent entre elles et qui vont être essentiels pour la différenciation d’abord, puis, ensuite, pour le maintien de l’état différencié. Pour maintenir, in vitro, cet état différencié, il faut évidemment utiliser les bons outils, les bonnes protéines de la matrice. Le rôle de la polarité cellulaire pour les cellules polarisées est aussi extrêmement important, et il faut faire en sorte de la maintenir in vitro. Pour cela, différentes solutions ont été trouvées : la culture sur filtre, la culture tridimensionnelle, par exemple.

Nous pourrions aussi évoquer les cocultures qui, en associant deux types de cellules qui, dans l’organisme, sont très directement en contact, permettent un bon maintien de l’état différencié. Il existe quelques lignées cellulaires qui permettent d’assurer cette bonne différenciation par exemple, Caco2 – qui est une lignée d’origine intestinale (entérocytes) – qui peut se différencier de façon tout à fait remarquable dans un système de type Transwell sur filtre. Mais ces lignées différenciables restent, malheureusement, beaucoup trop rares.

Un tissu humain complexe: l’épithélium respiratoire

Prenons un exemple: l’épithélium respiratoire. On peut utiliser des tissus d’origine animale, en particulier à partir de trachée de lapin ou de rat, pour réaliser des cultures primaires. Mais on peut également utiliser des muqueuses d’origine humaine qu’on peut se procurer, après autorisation des comités d’éthique, auprès des services de chirurgie ORL ou de pneumologie. L’épithélium respiratoire est un tissu complexe. Il borde les voies aériennes depuis le nez jusqu’aux bronchioles. C’est un épithélium pseudostratifié avec deux types de cellules très spécialisées : les cellules sécrétrices – en particulier les cellules à mucus – les cellules ciliées qui permettent le mouvement unidirectionnel de ce mucus et, enfin, des cellules basales, impliquées dans le renouvellement de cet épithélium, en particulier dans la réparation de celui-ci. On y distingue également des glandes séreuses ou muqueuses qui possèdent un épithélium unistratifié, simple, et concourent à la constitution du mucus. Cet épithélium est intéressant à cultiver in vitro parce que :

  • Il joue un rôle très important de protection de l’organisme vis-à-vis des aérocontaminants;
  • Il est aussi la cible d’un certain nombre de pathologies, ainsi que de polluants environnementaux et de maladies génétiques.

Comme pour la peau, ou la plupart des épithéliums, l’intérêt de celui-ci provient de la fonction importante d’interface qu’il remplit. Les méthodes de culture ont déjà été évoquées. Pour les cultures primaires, on peut dissocier des polypes ou des cornets nasaux. Dans un premier temps, les cellules épithéliales prolifèrent sur une matrice de collagène. A confluence, on sépare alors le tapis cellulaire de la matrice. Ce tapis est mis, ensuite, en agitation rotationnelle dans un milieu adéquat, additionné de facteurs de croissance. La définition du milieu est déterminante pour éviter la perte de différenciation. En effet, quand les cellules prolifèrent – c’est une règle assez générale – il y a, très souvent, perte de la différenciation. Elles conservent leur caractère épithélial, mais elles ne sont plus ni sécrétrices, ni ciliées alors qu’au départ, on avait des cellules sécrétrices et ciliées. La prolifération est essentiellement le fait des cellules basales. Ici, l’agitation rotationnelle bloque la prolifération et permet la différenciation. On obtient ainsi un épithélium mucociliaire tout à fait comparable à la muqueuse humaine d’origine.

 En pratique: des applications en pharmacologie

Pour suivre la différenciation, on va utiliser des marqueurs spécifiques, par exemple un marqueur des cils. Il s’agit d’un anticorps dirigé contre une modification post-traductionnelle de la tubuline qui est la protéine majoritaire des cils. On peut voir que lorsqu’on met en agitation, il n’y a plus du tout de cellules ciliées. Elles commencent à apparaître au bout de 10 jours. On observe leur augmentation jusqu’au vingtième jour où l’on obtient de magnifiques ciliatures.

On peut réaliser le même type d’expériences pour suivre la différenciation des cellules à mucus. En effet, dans cette approche, on ne cherche pas à séparer les types cellulaires considérant qu’il est au contraire important de conserver leurs interactions pour reconstituer un épithélium in vitro.

On peut également avec ce modèle étudier in vitro les mécanismes de réparation de l’épithélium. Les lésions-réparations sont quasi continuelles dans les voies aériennes, lesions mécaniques, chimiques ou infections. Les polluants atmosphériques, par exemple, provoquent des lésions. On assiste alors à une dénudation de la lame basale et la migration cellulaire va permettre de reconstituer le plus rapidement possible l’épithélium. Sinon les aérocontaminants pourraient franchir cette barrière endommagée, en particulier les bactéries, les champignons, les virus, les polluants etc… On assiste donc d’abord à une prolifération intense au cours de laquelle l’épithélium se stratifie et prend un aspect tout à fait différent de l’épithélium mucociliaire normal. C’est la différenciation épidermoïde. Nous pensons que cette étape pourrait, dans certains cas, évoluer vers la cancérogenèse. On trouve d’ailleurs assez souvent ces foyers de métaplasie épidermoïde – qui apparaissent notamment chez le fumeur – associés avec des foyers cancéreux. Ensuite, s’il n’y a pas cancérisation, ces cellules desquament et retournent à un épithélium mucociliaire pseudostratifié.

On comprend aisément que tout ce processus est soumis à un contrôle très précis. Différents facteurs de croissance interviennent. Il a donc fallu les identifier. C’est très important pour les applications, aussi bien sur le plan de la connaissance des maladies respiratoires, que pour trouver des médicaments qui permettent de contrôler l’ensemble de ce processus. Ainsi, a-t-on pu déterminer, par exemple, que la différenciation épidermoïde était contrôlée par le TGFß, et que le processus de réversion est associé à la vitamine A qui joue un rôle essentiel dans le maintien ou le retour vers un état mucociliaire.

Il y a d’autres techniques qui permettent de réaliser ce type d’études in vitro.

Il s’agit, par exemple, de la technique des chambres à deux compartiments avec un filtre ayant des pores de 0,4 micron et un coating – c’est-à-dire une matrice reconstituée. Le milieu se trouve ici au-dessus et en dessous. Il y a prolifération jusqu’à confluence et pas de différenciation dans ces conditions. On enlève alors le milieu au pole apical de façon à reconstituer une interface air liquide qui est celle qu’on retrouve dans l’appareil respiratoire. Le milieu est maintenu au pôle basal et la polarité est ainsi reconstituée d’un point de vue nutritionnel.

Selon qu’on ajoute de l’acide rétinoïque ou pas, nous allons avoir une différen-ciation normale, mucociliaire, ou une différenciation épidermoïde. Ce système permet d’étudier des agents pharmacologiques susceptibles d’agir sur la différenciation, voire la réversion de l’état épidermoïde. Nous avons, d’ailleurs, utilisé ce modèle pour étudier une série d’analogues de l’acide rétinoïque. Alors que c’est l’expérimentation animale qui était utilisée, à l’origine, pour étudier la réversion des atteintes de l’appareil respiratoire et de la muqueuse, c’est ce modèle in vitro qui a permis, sans avoir recours à une expérimentation animale, d’étudier une série de molécules intéressantes pour préserver ou retrouver une bonne différenciation au niveau de cette muqueuse. C’est une belle illustration de méthode alternative.

Une application environnementale: les particules de diesel

La toxicité de particules diesel a été étudiée au laboratoire sur une lignée bronchique humaine transfectée par le gène T du virus SV40, mais qui a conservé ses caractéristiques épithéliales, certaines de ses capacités de métabolisation et de sécrétion, après induction, des cytokines. Une étude mécanistique a été faite à l’aide de cette lignée, étude qui a été complétée sur culture primaire. Selon de nombreuses études épidémiologiques les particules atmosphériques sont incriminées dans la mortalité et la morbidité respiratoire et cardio-vasculaire. Les études in vitro sur cultures cellulaires associées à des études chez l’animal et à des études humaines sur des volontaires ont permis de donner une explication causale à ces données épidémiologiques.

Une des conclusions concerne le rôle essentiel des composés organiques adsorbés sur les particules. Ces données ont été importantes pour les constructeurs automobiles car cela les a incité à diminuer la fraction organique grâce à l’utilisation de pots catalytiques. Mais on a aussi mis en évidence le rôle du « coeur » carboné de ces particules fines et ultrafines, ce qui a conduit au développement des filtres à particules que nous connaissons, aujourd’hui. Nous avons ainsi pu déterminer les mécanismes moléculaires qui conduisaient à un processus pro-inflammatoire à partir de la cellule épithéliale. Cette approche mécanistique est quelque chose qui relève vraiment typiquement du domaine des cultures cellulaires et de l’approche in vitro.

En conclusion, on voit donc que les cultures cellulaires ont des applications multiples. Dans certains cas, elles peuvent éventuellement être considérées comme une alternative, au sens anglo-saxon du terme, à l’expérimentation aqnimale. Mais, malgré tout, il apparaît qu’une limite infranchissable demeure, qui est celle de la complexité de l’organisme. Pour le moment, malgré les outils, de plus en plus performants, développés dans le domaine de la culture cellulaire et la connaissance de plus en plus fine que nous avons du fonctionnement des cellules et des interactions cellulaires, il n’est pas possible de répondre in vitro à toutes les questions que soulève l’approche intégrée au niveau de l’organisme entier..Mais la biologie systémique, qui considère en même temps la cellule, le tissu, l’organisme et l’écosystème pourrait quant à elle, faire la différence. C’est un modèle quantitatif prenant en compte les relations entre les différents éléments cellulaires et les informations les concernant. La capacité de prédire les résultats finaux d’une perturbation sur le système organique étant mise en avant.

Quand à l’hépatocyte, au total, même si aucun test n’est validé, l’hépatocyte isolé continuera d’être très largement utilisé dans de nombreux domaines et a donc encore un bel avenir. Il réduira et remplacera dans bien des cas l’expérimentation animale.