Les Règles budgétaires pour prévenir le piège de la malédiction des ressources naturelles

Les Règles budgétaires pour prévenir le piège de la malédiction des ressources naturelles

Caleb Bonyi MUKADI MUKANDILA[1]

 

Abstract

Resource-rich countries are faced with the challenge of managing their potential wealth to avoid the resource curse trap. This article explores crucial budgetary rules for sustainable natural resource management, focusing on the revenue-smoothing rule and the creation of a sovereign wealth fund. The volatility of commodity prices is a major challenge, but the use of some scenarios could help better face this challenge. The establishment of a sovereign wealth fund contributes also to budgetary stabilization and the transformation of natural resource wealth into other forms of wealth for future generations.

Keywords: natural resource governance, resource curse, budgetary rules, revenue smoothing, sovereign wealth fund.

Les pays riches en ressources naturelles sont bénis par la providence en termes de richesse potentielle. Cependant, cette richesse peut rapidement devenir une malédiction si elle n’est pas gérée judicieusement. Le piège de la malédiction des ressources naturelles, où les économies dépendent excessivement des exportations de matières premières et sont vulnérables aux fluctuations des prix mondiaux, est un défi auquel de nombreux pays sont confrontés. Pour éviter ce piège, il est essentiel pour les pays riches en ressources naturelles de mettre en place des règles budgétaires solides. Dans cet article, nous explorerons les règles budgétaires que les pays riches en ressources naturelles devraient envisager pour assurer une gestion durable de leurs ressources. Nous nous intéressons principalement à l’une des règles qui consiste à la mise en place d’un fonds de ressources naturelles. Pour ce deuxième point, nous nous intéresserons à la situation de la RDC.

  1. Quelques Règles budgétaires :

 

  1. La règle du lissage des recettes :

L’un des défis majeurs pour les pays dépendant des ressources naturelles est la volatilité des revenus due aux fluctuations des prix des matières premières. Pour atténuer cette volatilité, il est crucial de mettre en place une règle du lissage des recettes. Cette règle consiste à ne pas inclure les cours internationaux des matières premières dans le budget de l’État. Au lieu de cela, les estimations budgétaires devraient se baser sur des prix moyens à long terme, en ignorant les fluctuations temporaires. Cette approche permet de dégager des recettes structurelles stables et de réduire les risques budgétaires.

La difficulté avec cette règle est qu‘il est techniquement très délicat et presque difficile de déterminer les cours moyens des ressources à long terme. Ce qui rend extrêmement difficile la détermination des périodes de cours élevés où il faut épargner et les périodes de prix faibles où il est préférable de dépenser pour amoindrir les chocs. La volatilité des cours des matières premières est un défi majeur pour de nombreux pays riches en ressources naturelles, et cela peut rendre la gestion budgétaire plus difficile.

Cependant, bien que les prédictions à long terme des cours des matières premières sont incertains, l’analyse des données historiques peut fournir des informations utiles sur les tendances passées des cours des matières premières. Aux données historiques peuvent être rajouté des scénarios probabilistes qui tiennent compte de différentes trajectoires de prix possibles avec des probabilités associées. Cette approche permet de mieux gérer l’incertitude en prenant en compte une gamme de résultats potentiels. Ces deux approches pourraient aider à estimer des valeurs moyennes sur une période plus longue et servir de base pour les prévisions budgétaires plus ou moins réalistes.

  1. La création d’un fonds souverain :

Un autre élément clé dans la gestion des ressources naturelles est la création d’un fonds souverain. Ce type de fonds, alimenté par une partie des revenus des ressources naturelles, vise à atteindre plusieurs objectifs. Tout d’abord, il contribue à la stabilisation budgétaire en accumulant des actifs lorsque les prix des matières premières sont élevés et en les utilisant pour combler les déficits lorsque les prix chutent. De plus, un fonds souverain permet de transformer la richesse en ressources naturelles en d’autres formes de richesse, garantissant ainsi que les générations futures bénéficient de la rente.

Source : World bank (“Faire face à un double choc,” n.d.)

Trop souvent, les pays riches en ressources se concentrent uniquement sur le secteur minier, négligeant le secteur pétrolier. Il est essentiel de reconnaître l’importance du secteur pétrolier et d’intégrer ses revenus dans les règles budgétaires. Étant donné la volatilité des revenus pétroliers et leurs impacts environnementaux, les pays doivent adopter des règles budgétaires adaptées à ce secteur, similaires à celles appliquées aux matières premières minières.

Dans le domaine de la gestion des ressources naturelles, le concept de « Fonds Souverain(Rapp, 2010) » est devenu un sujet de discussion de premier plan. Bien qu’il n’existe pas de définition universellement acceptée d’un Fonds Souverain, le Fonds Monétaire International (FMI) le définit largement comme un fonds d’investissement détenu par un gouvernement, partiellement alloué à des actifs étrangers(Buisine et al., 2012), avec des objectifs macroéconomiques spécifiques. Ces objectifs peuvent concerner la stabilisation budgétaire, l’épargne intergénérationnelle ou la diversification de l’économie.

À travers le monde, plus de 100 fonds souverains gèrent globalement plusieurs centaines de milliards de dollars américains d’actifs. Ces fonds se divisent en deux catégories : les fonds de matières premières, financés par les revenus de l’exportation de ressources naturelles, et les fonds non liés aux matières premières, alimentés par d’autres sources de revenus.

En République Démocratique du Congo (RDC), le code minier révisé de mars 2018 a introduit une entité publique connue sous le nom de « Fonds Minier pour les Générations Futures ». Ce fonds est principalement financé par une partie des redevances minières et a une large gamme d’objectifs, comme détaillé dans le décret du 25 novembre 2019[2] qui l’a établi. Ces objectifs comprennent le financement de projets de recherche dans le secteur minier, l’investissement dans la transformation de l’industrie minière, le soutien aux initiatives de diversification économique, le financement des entreprises publiques, des infrastructures essentielles, des PME/PMI à impact, et des placements stratégiques dans les institutions financières. En lisant les textes qui le créent et qui organisent son fonctionnement, le Fonds Minier pour les Générations Futures (FOMIN) de la République démocratique du Congo (RDC) est un mécanisme établi pour gérer les revenus issus de l’exploitation des ressources naturelles minières du pays. Toutefois, la nature exacte de ce fonds suscite des débats et des interrogations quant à son efficacité et à son alignement sur les meilleures pratiques internationales en matière de fonds souverains.

Cela soulève deux questions cruciales sur la nature et l’efficacité de ce fonds :

(1) S’agit-il d’un fonds spécifique ou d’un fonds souverain ?

(2) Comment ce fonds peut-il être rendu efficace ?

  1. Le FOMIN en RDC : un fonds souverain ?

En réalité une définition claire, précise et universelle des fonds souverains n’existe pas. Il n’y a pas de consensus ni dans la littérature académique ni dans les articles de presse professionnels sur ce qu’est un fonds souverain. Ce problème d’identification s’explique par leur nature hybride et leur hétérogénéité. En effet, les fonds souverains sont des entités assez complexes. Ils sont d’origine souveraine, c’est -à-dire créés et contrôlés par leurs États souverains avec des activités de nature privée, ce qui rend difficile leur identification précise. De plus, les fonds souverains sont très hétérogènes et diversifiés (Megginson, You et Han, 2013).

En croisant plusieurs approches de définition, notamment la position du Fonds Monétaire International (FMI), « Un fonds souverain est un fonds d’investissement détenu et géré par un État, généralement par le gouvernement ou une institution publique, qui est partiellement placé en actifs étrangers dans une logique de long terme. Les fonds souverains sont créés pour atteindre des objectifs macroéconomiques précis, tels que la stabilisation budgétaire, l’épargne intergénérationnelle, la diversification de l’économie, ou la génération de rendements financiers. Ils sont généralement financés par des revenus provenant de sources telles que les exportations de matières premières, les excédents budgétaires, ou d’autres types de recettes publiques ».

Les fonds souverains jouent un rôle significatif dans la gestion de la richesse d’une nation. Ils peuvent être divisés en deux principales catégories en fonction de la source de leur financement. Les fonds de matières premières, tels que ceux des Émirats arabes unis, de l’Arabie saoudite et du Qatar, sont financés par les revenus de l’exportation de matières premières telles que le pétrole et le gaz, représentant environ 67 % de l’ensemble des fonds souverains. Les fonds non liés aux matières premières, qui constituent les 33 % restants, sont financés par d’autres sources telles que les excédents budgétaires et les réserves de change accumulées. Les fonds souverains dits « commodity » (Puel, 2012) sont financés par les recettes d’exportation de matières premières, tandis que d’autres fonds tirent leurs ressources de sources variées, telles que les excédents budgétaires ou les recettes de change. Ces fonds poursuivent une gamme variée d’objectifs, notamment la stabilisation budgétaire, l’épargne intergénérationnelle, la diversification de l’économie, et la génération de rendements financiers. Ces objectifs peuvent varier en fonction des priorités économiques et politiques de chaque pays.

À la lumière de la définition d’un fonds souverain du FMI et des objectifs du FOMIN, il est raisonnable de considérer que le FOMIN présente des caractéristiques d’un fonds souverain de type « commodity ». En effet, ses principaux objectifs sont axés sur l’épargne intergénérationnelle et l’affectation de ses ressources à des investissements dont certains visent la diversification économique.

En essence, les fonds souverains partagent trois critères fondamentaux :

  1. Ils appartiennent à l’État ;
  2. Ils sont conçus pour la gestion à long terme d’actifs ;
  3. Ils poursuivent des objectifs macroéconomiques spécifiques, pouvant inclure soit, l’épargne intergénérationnelle, la diversification économique ou la stabilisation économique.

 

  1. De la Gouvernance du fonds pour le rendre efficace

Sur base des objectifs définis par l’article 8 bis de la Loi portant Code Minier et du décret associé portant sur la création et le fonctionnement du FOMIN, le Fonds Minier pour les Générations Futures présente les caractéristiques d’un fonds souverain. Il se concentre principalement sur l’épargne intergénérationnelle et utilise ses ressources pour entre autres, la diversification économique, les investissements et diverses formes de participation financière. Ainsi, il peut être classé comme un fonds de matières premières.

Au fil du temps, plusieurs fonds souverains ont été confrontés à des défis, notamment des pertes importantes lors de la crise financière de 2008. En conséquence, des principes pour une gestion efficace des fonds souverains, connus sous le nom de « Principes de Santiago(Aglietta, 2009) », ont été élaborés. Ces principes mettent l’accent sur :

  • L’énonciation claire des objectifs du fonds, alignés sur la politique gouvernementale, éventuellement consacrés dans une législation ou une constitution.
  • La définition des procédures de dépôts, de retraits et de gestion des revenus dans des documents législatifs ou réglementaires.
  • La clarification des exceptions à ces procédures, notamment en réponse à des crises environnementales, financières ou sociales.
  • La délimitation des limites de risque pour les investissements afin de gérer l’exposition aux risques.
  • L’assurance d’une supervision et de mécanismes de transparence solides.

Ces principes servent de précieux guides pour garantir la gestion prudente des fonds souverains.

En effet, pour les économies fortement tributaires des ressources naturelles, la diversification économique est essentielle pour réduire la dépendance aux matières premières. Les fonds souverains doivent jouer un rôle actif dans cette transition. Cependant, investir de manière efficace dans de nouveaux secteurs économiques peut être un défi, car cela nécessite une expertise et une vision à long terme.

Plusieurs fonds de ce type ont vu le jour dans différents pays africains, généralement en tant que fonds de Ressources Naturelles, compte tenu de leur dépendance aux revenus des générés par lesdites ressources :

  1. Le Fonds de Régulation des Recettes d’Algérie : Créé en 2000, ce fonds est alimenté par les revenus de l’exportation de pétrole et de gaz, visant à atténuer l’impact des fluctuations des prix de l’énergie sur l’économie du pays.
  2. Le Fonds Souverain d’Angola : Fondé en 2012, ce fonds repose sur les revenus de l’exportation de pétrole pour diversifier l’économie grâce à des investissements dans divers secteurs.
  3. Le Fonds Pula du Botswana : Lancé en 1994, il utilise les réserves de change excédentaires générées par les exportations de diamants pour épargner en vue des générations futures et investir de manière stratégique. Le Pula Fund du Botswana est souvent cité comme un exemple de fonds souverain transparent et bien géré en Afrique, avec un haut niveau de redevabilité et de transparence. D’après la Banque Africaine de Développement (BAD), le Pula Fund du Botswana est géré de manière rigoureuse et est bien administré(Bank, 2021).
  4. Fonds Souverain de la République Gabonaise : Alimenté par les revenus pétroliers, a entrepris des investissements dans des projets de diversification économique tels que l’agriculture et le tourisme pour réduire la dépendance à l’égard du pétrole.
  5. Les Fonds Pétroliers du Ghana : Le Ghana a créé deux fonds souverains en 2010 – le Fonds de l’Héritage pour l’épargne intergénérationnelle et le Fonds de Stabilisation pour stabiliser les dépenses gouvernementales en période de volatilité des prix du pétrole.
  6. Le Fonds pour les Générations Futures de Guinée Équatoriale : Établi en 2002, ce fonds reçoit 0,5 % des revenus pétroliers pour garantir l’avenir des générations.
  7. L’Autorité Libyenne d’Investissement : Avec d’importantes réserves de pétrole, la Libye a créé l’Autorité Libyenne d’Investissement en 2006 pour investir dans divers actifs, y compris des instruments financiers et des biens immobiliers, en vue de diversifier sa richesse.

Ces fonds souverains africains présentent des origines, des objectifs et des sources de financement divers, reflétant les circonstances économiques uniques et les aspirations de leurs nations respectives. Malgré les variations, ils partagent tous l’objectif commun de garantir la prospérité future de leur pays face à la dépendance aux ressources. L’histoire des fonds des ressources naturelles démontre que la transparence et la reddition de comptes sont des enjeux clés pour la bonne gouvernance d’un fonds. Les citoyens ont le droit de savoir comment les revenus des ressources naturelles sont gérés, mais dans de nombreux cas, l’opacité persiste. La mise en place de mécanismes de reddition de comptes solides est essentielle pour bâtir la confiance.

Les fonds souverains, en tant que des instruments financiers sont créés pour gérer les revenus des ressources naturelles, sont devenus un pilier essentiel dans de nombreux pays riches en ressources, ils jouent un rôle crucial dans la gestion des richesses nationales, cependant, malgré leur objectif noble de préserver la richesse nationale de manière pérenne et de soutenir le développement économique ils sont confrontés à un éventail complexe de défis économiques tels que :

  • La Volatilité des Prix des Matières Premières : L’une des difficultés les plus criantes pour les fonds souverains liés aux matières premières est la volatilité des prix. Les économies dépendantes des ressources naturelles sont vulnérables aux fluctuations soudaines des prix du pétrole, du gaz, des métaux et d’autres matières premières. Les fonds alimentés par ces revenus, tels que le Fonds de Régulation des Recettes en Algérie, sont directement touchés par ces variations. Gérer les revenus pour éviter les chocs économiques majeurs est un équilibre délicat. C’est le cas par exemple du fonds norvégien « Government Pension Fund Global (GPFG) », également connu sous le nom de « fonds pétrolier norvégien », qui a dû faire face à des fluctuations massives des prix du pétrole au fil des ans. En 2015, ce fonds a enregistré une perte de 273 milliards de dollars en raison de la chute des prix du pétrole.

Source : www.researchgate.net (“FIGURE 4 Balance of the Government Pension Fund Norway (formerly The…,” n.d.)

 

  • La gestion Inefficace et la Corruption : De nombreux pays riches en ressources sont aux prises avec une gestion inefficace et la corruption. Les fonds souverains sont censés être des gardiens responsables de la richesse nationale, mais la mauvaise gestion et la corruption peuvent les détourner de leur objectif initial. Il est essentiel de mettre en place des mécanismes de gouvernance solides pour garantir que les fonds sont utilisés de manière transparente et responsable. A titre illustratif, le fonds souverain malaisien 1Malaysia Development Berhad (1MDB) a fait l’objet d’un vaste scandale de corruption qui a entraîné des enquêtes à l’échelle mondiale. Des milliards de dollars ont été détournés, compromettant gravement l’intégrité du fonds et le détournant de ses objectifs nobles. Le scandale(“Le scandale de blanchiment d’argent 1MDB et les politiciens corrompus,” 2023) 1Malaysia Development Fund Bhd (1MDB) est peut-être le scandale de corruption le plus grave de l’histoire. Le détournement et le blanchiment de milliards de dollars de ses comptes, ainsi que les gains provenant de la corruption et de la fixation des prix des obligations, ont été facilités par de fausses déclarations de la part de ses fonctionnaires et d’autres personnes. Des fonds illicites étaient fréquemment transférés et blanchis à l’extérieur de la Malaisie. Le scandale a impliqué un groupe de banquiers, d’hommes d’affaires et de hauts responsables gouvernementaux (PPE), principalement de Malaisie, mais aussi d’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis et d’autres pays.

 

  • Pressions Politiques et Sociales : Les fonds souverains sont souvent confrontés à des pressions politiques et sociales pour utiliser leurs ressources à des fins immédiates plutôt que de les épargner pour les générations futures ou de diversification de l’économie. Les gouvernements peuvent être tentés d’accéder à ces fonds pour des projets populaires, même si cela compromet l’objectif d’épargne à long terme ou les objectifs de diversification. A ce sujet le Ghana Petroleum Funds, créé pour préserver une partie des revenus pétroliers pour les générations futures, a été sous pression pour financer des dépenses immédiates, ce qui a suscité un débat sur la préservation de l’épargne. À l’aide d’une analyse comparative qualitative et de techniques d’analyse de sensibilité, l’étude de Gyeyir, Denis Mwinkpeng (Gyeyir, 2019) a révélé que sur un total de 714 608 340 dollars retirés du GSF entre 2014 et 2018, 86,72 % ont été transférés au compte d’amortissement de la dette (DSA/SF) et utilisés pour rembourser certains titres de créance négociables (prêts). Cette étude à conclu que le GSF n’a eu qu’un impact minime sur son objectif principal, qui est d’amortir ou de maintenir la capacité de dépenses publiques pendant les périodes de manque à gagner imprévu des recettes pétrolières, et que le Fonds a été largement utilisé à des fins autres pendant 8 ans.

 

  • Gestion des Risques et de la Dette : Les fonds souverains doivent gérer attentivement les risques associés à leurs investissements. La diversification des actifs et la limitation des risques sont essentielles. De plus, certains fonds souverains ont utilisé la dette pour financer des investissements, ce qui peut comporter des risques si elle n’est pas bien gérée. Le Libyan Investment Authority (LIA) de la Libye a connu des difficultés financières majeures en raison de la gestion imprudente de ses investissements, y compris à cause d’un endettement excessif, ce qui a entraîné des litiges internationaux. Le Cabinet EY a réalisé un Rapport d’audit(“LIBYE,” 2023) sur la Libyan Investment Authority (LIA) en 2023. En marge de la présentation des états financiers du fonds souverain libyen pour la période 2018-2019, le cabinet britannique pointe de nombreuses irrégularités dans la gestion et le niveau de transparence. Les conclusions de ce rapport daté du 22 mai ont été présentées à la LIA lors d’une réunion qui s’est tenue début juin à Tunis. Le rapport indique que les biens de la LIA sont estimés à 69 milliards de dollars en 2019 et détaille les investissements réalisés dans les filiales (28 milliards de dollars) et dans les actifs financiers (11 milliards de dollars). Or, selon les calculs d’EY, il y a une différence de 100 millions de dollars entre les comptes des filiales de la LIA et les pièces justificatives fournies par cette dernière. Le rapport révèle également que de nombreuses opérations liées à des investissements dans des actifs financiers n’apparaissent pas dans les relevés bancaires. Ces investissements s’élèvent à 500 millions de dollars en 2019.

Au-delà de ces anomalies, EY a dénombré plusieurs manquements de la part de la LIA qui ont entravé la bonne réalisation de l’audit.

 

  • Impact des Facteurs Géopolitiques : Les fonds souverains peuvent être touchés par des facteurs géopolitiques, tels que les sanctions internationales ou les conflits. Les actifs détenus à l’étranger peuvent être gelés ou perdus en raison de ces circonstances imprévisibles. C’est le cas du fonds souverain Russe, le National Wealth Fund (NWF), qui a été affecté par les sanctions internationales qui ont limité sa capacité à investir à l’étranger. Depuis le début de la guerre, la Russie a perdu environ un quart des actifs totaux du fonds en roubles, qui s’élèvent désormais à 10 400 milliards de roubles (148,4 milliards de dollars, soit 7,8 % du PIB)(Kulish, n.d.). En 2022, le conflit en Ukraine et les effets des sanctions contre la Russie ont porté un coup dur au National Wealth Fund (NWF) russe, qui a vu ses actifs totaux sous gestion plonger de 11,5% à 154,8 milliards de dollars, et risque de geler la capacité du russe Fonds d’investissement direct (RDIF) pour sécuriser les investissements entrants(“Russian Sovereign Funds Hammered by Sanctions and Geopolitical Risk (GlobalSWF),” n.d.).

Pour surmonter ces obstacles, il est essentiel d’établir des politiques et des pratiques solides, de renforcer la transparence et la reddition de comptes, et de chercher activement à diversifier les économies. La gestion prudente de ces fonds est cruciale pour garantir qu’ils atteignent leurs objectifs de stabilisation budgétaire, d’épargne intergénérationnelle et de diversification économique, tout en naviguant à travers les eaux parfois troublées de la gestion des richesses naturelles.

  1. Le cas du FOMIN en RDC

Le FOMIN, tel qu’il est conçu, se concentre principalement sur l’aspect de l’épargne, sans tenir compte de la nécessité de gérer la volatilité des revenus provenant des ressources naturelles. La volatilité des prix des matières premières est un défi majeur pour de nombreux pays riches en ressources, y compris la RDC. Cette volatilité peut entraîner une « politique budgétaire procyclique », c’est-à-dire une augmentation des dépenses publiques lorsque les prix des matières premières sont élevés et des ajustements brutaux lorsque ces prix chutent. Pour atténuer ces effets, un fonds souverain devrait jouer un rôle dans la stabilisation budgétaire, en lissant les revenus à court terme et en garantissant la fourniture de biens publics lorsque les recettes diminuent. Cependant, dans sa politique fiscale actuelle, la RDC ne prend pas en compte cet « aspect essentiel ».

Le FOMIN prévoit des investissements dans des projets liés à au financement de la recherche minière, à la transformation locale des produits miniers et à divers types d’investissements énumérés dans l’article 2 du décret(“Décret modifiant et complétant le décret portant statut, organisation et fonctionnement du FOMIN,” n.d.). Ces investissements sont très éloignés de la stratégie de gouvernance habituelle des fonds des ressources naturelles. De plus, les fonds de ressources naturelles sont censés produire des revenus et investir aux conditions des marchés internationaux.

Le FOMIN dans sa version actuelle en tant que fonds des ressources naturelles ne prend en compte que les ressources minières, laissant de côté le secteur des hydrocarbures et le secteur forestier de la RDC, qui représentent une part significative et non négligeable de revenus du pays. Ignorer le secteur des hydrocarbures et le secteur forestier dans la constitution d’une épargne intergénérationnelles est une lacune majeure, car le secteur des hydrocarbures par exemple est tout aussi exposé à la volatilité des prix que le secteur minier. De plus, le pétrole est une ressource hautement polluante, ce qui nécessite une gestion prudente et une considération sérieuse dans le cadre d’un fonds des ressources naturelles.

 

Conclusion

Le Fonds Minier pour les Générations Futures en RDC (FOMIN) a le potentiel de devenir un outil vital pour sécuriser la richesse nationale provenant des activités minières. En s’alignant sur les meilleurs principes établis des fonds souverains et en tirant des enseignements des expériences d’autres fonds souverains basés sur les matières premières en Afrique et à travers le monde, la RDC peut gérer efficacement ses revenus miniers et ouvrir la voie à un développement économique durable pour les générations futures.

Pour que le FOMIN soit efficace et joue un rôle positif dans la gestion des ressources naturelles de la RDC, des réformes sont nécessaires. Il est crucial d’intégrer une composante de stabilisation budgétaire dans le fonds pour atténuer la volatilité des revenus. De plus, les investissements prévus devraient être réévalués pour suivre les pratiques internationales des fonds souverains, en privilégiant les investissements plus diversifiés tenant compte des divers risques. En vue de d’équilibrer la gestion des revenus générés par les ressources naturelles, les fonds du secteur pétrolier(“« Fonds minier de la RDC, un mal né ?,” 2021) et ceux du secteur forestier pourraient être inclus pour créer un véritable fonds souverain de ressources naturelles.

Le FOMIN, bien qu’il soit une initiative positive, doit soulever des profondes réflexions pour tenir compte des réalités économiques et des meilleures pratiques en matière de gestion des fonds de ressources naturelles. En effet, une gestion plus équilibrée et une vision à long terme sont essentielles pour garantir que les générations futures de la RDC puissent bénéficier de manière durable des revenus des ressources naturelles du pays. Pour ce faire, en vue de rendre le FOMIN transparent et efficace, il devrait publier des rapports annuels audités, des informations sur ses participations et leur situation géographique, des rapports sur la valeur de marché totale de son portefeuille, des principes éthiques et des politiques d’investissement publics, ainsi que des informations facilement accessibles au public, par exemple, sur un site Internet dédié. Le Fonds Minier pour les générations futures de la RDC peut jouer un rôle crucial dans la gestion des revenus des ressources naturelles du pays pour les générations futures. Cependant, pour atteindre son plein potentiel, il doit être géré conformément aux principes de gestion des fonds souverains et maintenir un haut niveau de transparence pour garantir la confiance du public et des investisseurs.

 

 

Bibliographie

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[1] Caleb Bonyi MUKADI est Economiste, il est titulaire

*d’un diplôme de licence en Economie monétaire de l’Université de Kinshasa (UNIKIN) ;

*d’un Master en Economie de développement de l’Université Grenoble Alpes (UGA) ;

*d’un Diplôme Universitaire en Statistique appliquée de la Toulouse School of Economics (TSE).

[2] Le décret a été revu en 2023. Une autre analyse s’intéressera aux points forts et aux points faibles de la version revue du décret.